» Shadow Boxing [PV CruZ]

* ××× Wolf ...

La nuit n’était pas encore tout à fait tombée. Le ciel accueillait dans son royaume une lune à peine perceptible, frangée de nuages, lesquels se teintaient des couleurs du coucher du soleil, à l’horizon. Le tapis de neige recouvrant le sous-bois scintillait dans les dernières lueurs du jour tandis que les arbres étendaient leur ombre noire. Leurs branches nues semblaient se recroqueviller sur elles-mêmes comme si le froid les engourdissait. En effet, l’atmosphère se rafraichissait rapidement, et si des mots avaient été prononcés ils seraient sans doute sortis sous forme d’exhalaisons volatiles. Un silence de plomb régnait dans le bois, et seuls les froissements d’ailes des corbeaux rompaient de temps à autre la monotonie du territoire, pareils à des chuchotements de mauvais augure.
Quand elle était partie, au matin, Perle ne se doutait pas qu’elle irait se perdre si loin de tout. Se perdre. Le mot était peut-être mal choisi, car la louve n’était pas perdue dans le sens où elle savait comment revenir –à l’odorat. Elle aurait dû se retourner en chemin cependant dès qu’elle avait réalisé qu’elle n’allait nulle part. Elle aurait dû rentrer avant que ses pas ne laissent dans la neige la marque ensanglantée de ses coussinets si fragiles depuis l’Incendie. Mais à aucuns moments elle n’avait fait demi-tour. Lui aurait-on posé la question pourquoi, elle n’aurait su y répondre. Parce que.

La jeune louve s’immobilisa au pied d’un arbre. Cet arbre n’avait rien de particulier –aussi décharné et tordu que ses congénères. Toutefois, c’est là qu’elle s’arrêta. Sa tête se tourna alors derrière son épaule et elle contempla d’un œil vide les traces rouges que ses pattes avaient abandonnées dans la neige -un peu comme des tampons. Le sang frais luisait à la lueur des premières étoiles et les flocons qui s’étaient mis à tomber fondaient à son contact. L’odeur entêtante de sa propre hémoglobine emplissait ses narines. Si quoi que ce soit dans cette forêt aurait voulu la suivre, la piste était toute tracée. Mais cela n’avait aucune importance pour Perle. A vrai dire, plus grand-chose n’en avait.
Si, trouver de la nourriture pour tes petits est important. Répondit au tact au tact une voix sans conscience dans son esprit embrumé.
Les courroies de cuir comprimant le cœur de la louve se resserrèrent aussitôt, comme pour endiguer la douleur qui la submergea malgré tout.

Un vent mordant s’engouffra entres les arbres dans un hurlement furieux et peignit le pelage de la louve à contre-poil. Celle-ci frémit –de froid ou de chagrin.

° Tu les as peut-être perdus mais désormais, tu as une meute. Elle aussi a besoin d’être nourrie. ° Pensa la belle dans une vaine tentative de raisonnement.

La demoiselle étouffa les braises rougeoyantes de son mal pour se remettre à marcher, la tête vide –ca facilitait tout- mais l’instinct alerte. Il fallait qu’elle rapporte quelque chose au groupe. Son statut au sein du clan n’était pas réellement au beau fixe. En fait, elle pouvait difficilement tomber plus bas. Mais tu ne sais même pas si tu as envie de te relever. De toute façon, tu étais tombée bien avant de les rejoindre.
L’Oméga se concentra pour saisir d’autres effluves que celle de son sang tout en se demandant si elle arriverait à courser un lapin dans cet état. La neige sur laquelle elle se déplaçait gelait la douleur, donc il ne devrait pas y avoir de soucis de ce côté-là. La nuit était amorcée ; la lune versait sur la forêt l’éclat blafard de son visage. Avec un peu de chance, elle pourrait attraper un petit animal nocturne.
Cependant, quelque chose clochait.

Perle se statufia dans une flaque de lumière argentée. Elle venait de percevoir l’odeur d’un loup dans la semi-obscurité. De l’Ouest. Son bêta, lequel n’avait jamais posé les yeux sur elle depuis son arrivée récente. Sans doute avait-il alors d’autres choses à faire que de perdre son temps avec un individu de son genre. Enfin, c’est ce qu’elle s’était dit.
Le cœur de la louve s’emballa. Elle ignorait depuis combien de temps elle était suivie. Il devait s’être déplacé contre le vent jusqu’à maintenant. Ou bien, tout simplement, il se trouvait peut-être sur les lieux avant elle. Peut-être. Sans doute...
Au dessus d’elle, un couple de corbeau s’agita, battant frénétiquement de l’aile dans des éclairs noirs plus sombres que le manteau de la nuit. Le vent chuinta à travers les branches des arbres nues. Le bois n’avait que faire de la panique qui s’emparait de la demoiselle comme un oiseau de proie s’empare d’une petite souris. Le bois la laisserait mourir sur son tapis de neige si c’est ainsi que les choses devaient se dérouler. Car enfin, la forêt les avait laissée périr dans les flammes, eux.

L’envie irrépressible de courir, de t’enfuir encore intimait aux rouages de son corps frêle de bondir en avant. Mais la louve n’en fit rien et ses griffes se fichèrent dans le sol comme autant de petites agrafes.

° Laisse-le venir à toi si c’est ce qu’il veut. ° S’ordonna-t-elle silencieusement.

Et les yeux de Perle se fermèrent pour prier. S’il te plaît ne vient pas à moi.

* ××× Wolf ...

Le crépuscule qui avait suivit l’après-midi laissait à présent tranquillement place à une nuit calme, profonde, silencieuse. Au campement, rien ne venait troubler la lente montée de l’astre lunaire, si ce n’est que les nuages vaporeux qui la couvraient à moitié. Les loupiots étaient tous déjà partis se coucher, au grand bonheur des plus grands, qui profitaient un peu de ce moment de calme. Quelques patrouilles parcouraient le territoire, par mesure de sécurité, et d’autres loups étaient encore dehors, probablement à chasser.. Ou s’organiser un quelconque rendez-vous intime. Néanmoins, la majorité du clan restait aux alentours de la clairière, admirant le spectacle merveilleux d’un coucher de Soleil flamboyant. Bientôt, tous se retireraient dans leurs tanières respectives, à l’abri, au chaud, en prévision de cette longue nuit d’hiver à passer. Mais, pour le moment, le doux murmure des conversations s’élevait encore dans l’air, adoucissant le sentiment de réclusion qui viendrait lorsque plus personne ne serait sortit. Et, assis sur un rocher, contemplant de haut tout ce petit monde, veillait Crusade. La brise venait lui ébouriffer le poil, faisant voleter ses mèches rebelles. Les yeux mi-clos, le bêta respirait profondément l’air pur de la clairière, alimentant son corps de cette molécule vitale. Il était détendu, ses muscles pour une fois non crispés, mais pas au point de devenir lent et paresseux. De temps en temps, il jetait un véritable coup d’œil à la scène qui se jouait en contre-bas, promenant son œil acéré d’un regard vif sur tout mouvement captant son attention. Cruz’ n’était pas au garde-à-vous, mais demeurait néanmoins assez clair d’esprit pour pouvoir agir rapidement si la situation l’exigeait. En tant que bêta, veiller sur sa troupe, sur son sommeil, faisaient partie de ses responsabilités. Plus tard, dans la nuit, il délèguerait probablement ces tâches à un subalterne, pour aller se reposer un peu. Mais, pour le moment, le gardien du repos, c’était lui. Un certain devoir, quand même, si l’on songeait que quelques instants d’inattention de sa part, et des ennemis pouvaient débouler au camp sans que personne n’en soit prévenu. Cependant, cela ne l’empêchait pas de se reposer un peu pendant sa garde, tant qu’il restait éveillé.

Changeant de position, pour se retrouver allongé, Crusade soupira longuement, avec satisfaction et délice. Le Soleil, presque entièrement couché à présent, étendait de longues ombres dans la clairière, qui épousaient chacune de ses courbes. Les couples se dirigeaient à présent vers leur terrier respectif, tandis que les retardataires revenaient tranquillement au camp, peu pressés. Un par un, Cruz’ les regarda passer sous son nez pour aller dormir, prenant mentalement en note leur nom. Lorsque tous seraient rentrés, hormis les patrouilles, il vérifierait qu’aucun ne restait dans les bois. Ou plutôt, tous pouvaient aller s’y promener, s’ils le désiraient. Mais avertir le bêta d’abord était préférable, sinon celui-ci partirait à leur recherche. Car imaginez qu’un membre de la meute soit blessé, ou incapable de revenir au camp? N’envoyer personne à sa recherche signifierait probablement son arrêt de mort. Mieux valait être trop prudent, et tomber sur un loup qui, au fond, chassait, que pas assez, et trouver le lendemain le cadavre d’un compagnon au fond d’un ravin. Ce genre de cruelles leçons se marquaient à tout jamais dans la mémoire, disons..

Lâchant un nouveau soupir, le bêta sauta de son promontoire, pour patrouiller un peu aux abords de la zone déboisée. Après le retour de quelques lambineurs, Cruz’ s’accorda un délai de plusieurs minutes supplémentaires, pour être sûr. Mais rien. Rien ne venait troubler cette nuit naissante; pas une odeur canine, pas un bruit de pas aux alentours. Tous ceux qui voulaient rentrer avant la nuit l’avaient déjà fais, en somme. Récapitulant ceux qu’il avait vu passer, ainsi que ceux qu’il savait dehors, en patrouille, le mâle s’aperçut qu’il manquait un individu à ce compte-rendu. Hm. Problème. Il ne parvenait pas à savoir qui c’était. Allez, Cruz’, creuse-toi la mémoire! Passe en revue chaque face des membres de ton clan; il faut que tu trouve! Une image finit enfin par lui revenir en tête. Un éclair de fourrure blanc. Une effluve de peur, soumission, mais aussi de douceur infinie. Perle. Il revoyait la scène, lorsque son alpha l’avait accepté parmi eux; lui n’avait eu le temps que de l’entrevoir, arrivant à la fin de l’entrevue. Depuis, leur chemin s’était peu croisé. Elle était oméga, lui bêta. Ils n’avaient pas les mêmes cercles d’entourage, disons. Et Cruz’ avait des responsabilités en plus. Pourtant, ce n’était pas qu’il ignorait délibérément les bas rangs. S’il avait l’occasion de parler avec eux, il le faisait. Le hic était que ce genre d’occasions arrivaient bien peu souvent. Cependant, oméga ou pas, elle faisait autant partie de la meute que les autres; il avait des devoirs envers elle aussi.

Après avoir réveillé un loup de confiance, pour lui demander de veiller sur le camp, Crusade partit rapidement à l’extérieur, en quête de n’importe quelle piste. Par chance, il tomba rapidement sur celle de Perle, qui venait tout droit du campement. Sitôt sentit, sitôt suivit, il s’empressa de remonter la piste, qui le menait un peu partout sur le territoire; décidément, Perle était partie de bonne heure afin de parcourir tout le territoire. Jurant entre ses dents envers ce contre-temps, Cruz’ allongea sa foulée, dans l’espoir que la louve ne se soit pas si éloignée que ça. Il finit par entrer dans le Bois Bannis, alors que la piste devenait de plus en plus fraîche; celle qui la laissait ne devait pas être si pressée. Puis, son odora fin capta l’odeur métallique du sang, alors que ses yeux tombèrent sur une goutte écarlate dans la neige. La peur au ventre, au pressentiment grandissant, le mâle alla renifler la trace. Misère. C’était bien du sang de canidés. Levant la tête, il aperçut d’autres taches de sang, de plus en plus larges, d’ailleurs. Faisant fit de son instinct qui lui criait que Perle était probablement blesser gravement, voir morte, le bêta s’élança sur ses traces au galop, bien peu inquiet qu’on puisse le pister; il avait d’autres priorités, là. Il dépassa un arbre chétif, où l’odeur semblait plus forte; elle devait s’y être arrêter un moment, et récemment. Comme pour lui donner raison, l’effluve qu’il captait depuis un long moment déjà devenait plus forte de secondes en secondes. Il était très, très près d’elle. Soudain, un rayon argenté de la lune se refléta sur une quelque chose qui se mouvait, là, devant. Le bêta freina brusquement, tentant toutefois de faire le moins de bruit possible. Presque accroupit, il s’avança doucement en direction du mouvement qu’il avait capter. Quoi que ce fut, cela avait un rapport avec Perle, puisque l’odeur venait de cette forme. Néanmoins, vu le sang qui tapissait la neige blanche, mieux valait rester prudent. À pas de loup, il se rapprocha de l’endroit, le plus tapis possible. Néanmoins, il ne put s’empêcher de soupirer de soulagement et de relever la tête lorsqu’il découvrit Perle, en vie, et seule. Cette dernière dû capter sa présence par un de ses sens, puisqu’elle pivota dans sa direction. Cependant, ses yeux se fermèrent et son cœur s’emballa. Inquiet à son tour, Cruz’ dévisagea attentivement les alentours, comme si une menace allait surgir d’un moment à l’autre. Mais, rien. Haussant les épaules, il sortit des buissons qui le « camouflaient », pour venir se planter proche de la louve au pelage immaculé.

« N’est-il pas un peu tard pour une promenade si éloignée du campement? » L’aborda-t-il en guise de salutation, le soulagement pointant toutefois de sa voix de la savoir en vie.

* ××× Wolf ...

[<3]

Un instant, le silence fut parfait dans la nuit noire. Il était tombé sur la forêt comme une gaze translucide, étouffant le moindre murmure pour arriver à ce moment précis où le silence surpassait toutes les rumeurs nocturnes du Bois Banni. Seul échappait encore à son étreinte le galop retentissant de son cœur dans sa poitrine, laquelle se soulevait à une cadence exaltée sous l’épaisse toison de son poitrail. Un silence répondant à sa prière informulée -qui ne sera jamais exaucée.
Il était tout près désormais et avançait encore. L'odeur musquée, très concentrée, précéda le prédateur lui-même. Perle ouvrit les yeux avant que les buissons ne bruissent sur sa gauche. D’un même mouvement, elle pivota afin de faire face au nouveau venu et incurva sa queue fournie entre ses postérieurs arqués. Elle sentie son extrémité chatouiller son ventre tandis que sa tête rentrait légèrement dans ses épaules et que ses oreilles s’aplatissaient sur son crâne. En tant que bêta, elle lui devait presque tous les respects possibles. Mais à ce sentiment s’ajoutait également un soupçon d’appréhension qu’elle ne pensa pas à masquer. Des phéromones de soumission et de peur montèrent de la petite blanche.
C’était la première fois que les deux canidés se retrouvaient ainsi l’un face à l’autre, si proches –et en même temps si loin. Séparés par rien de plus qu’une nappe de neige blanche, et leur grade respectif, bien sûr. La belle leva vers lui un regard ambré et limpide, scintillant dans la clarté diffuse de la lune. Leur haleine sortait de leur gueule sous forme de condensation vaporeuse, se mêlant brièvement l’une à l’autre en prenant de l’altitude.

Crusade –qui ignorait le nom de son bêta ?- était grand –où sans doute était-ce elle qui mesurait trois pommes- et la toisait d’une bonne tête de plus. Sa charpente était solide sans être trapue, et il s'y greffait des muscles fermes et saillants. Une bête robuste, assurément. Sa fourrure épaisse offrait des prises au vent qui faisait ondoyer le pelage comme l’herbe verte d’une prairie. Sauf que celle-ci n’était pas verte, mais tricolore, avec des dégradés de roux, de blanc et de noir, formant comme un collier de couleur autour de son cou puissant. Elle ne le regardait pas directement dans les yeux mais elle les devinait grands et sombres, à peine rehaussés par la tâche claire surplombant ses arcades sourcilières. Mais il devait les avoir beaux. Oui, quelque chose lui disait qu’ils étaient beaux et bruns.
Rien dans sa posture ou dans son attitude ne laissait paraître de l’hostilité, et sa voix n’était pas agressive. Perle se sentie presque reconnaissante et s’apaisa très légèrement. Elle ne perçut pas la pointe de soulagement dans la voix grave du Bêta toutefois. Pour elle, il n’était là que pour la rabrouer.

« N’est-il pas un peu tard pour remonter les traces d’une égarée ? » Répondit-elle d’une voix claire mais mal assurée, sur un ton chargé de respect.

Oui, elle allait lui dire qu’elle s’était perdue. Il ne s’agissait là que d’une partie de la vérité, et elle ne lui dirait pas où et quand. Ces réponses là étaient parties en fumée dans l’Incendie…
Tout serait simple, ainsi, et elle se coulerait un peu mieux dans son statut d’Oméga incompétent aux yeux des siens. Tout le monde serait satisfait, et on ne se poserait pas de questions quant à son comportement étrange.
La louve baissa subrepticement les yeux sur la neige entachée de sang sous elle. Elle n’en perdait pas beaucoup –les plaies n’étaient rouvertes qu’en surface- mais la teinte rouge garance du fluide tranchait avec la blancheur immaculée des flocons.

* ××× Wolf ...

À chacun de ses pas, il voyait l’attitude de sa compatriote changer un peu plus. Ce n’était pas vraiment qu’elle perdait son assurance pour devenir faible, chétive. Ou, du moins, le bêta ne le percevait-il pas comme cela. Elle était douce, calme, timide, pure, fragile aussi, mais avec un cœur d’or et beaucoup de courage. Perle. Ce nom soyeux lui allait à merveille, il lui seyait bien. La beauté dans la fragilité. En ce moment, Crusade l’aurait plus imaginé en guérisseuse, ou bien mère de famille, et peut-être même chasseuse, plutôt qu’en oméga. Cette fonction était pour des loups qui avaient trahis leur meute, commis une grande faute, ou bien avait un caractère minable. Perle n’avait rien de tout cela. Elle n’était certes pas dominante ou agressive, mais cela n’aurait pas dû l’empêcher d’accéder à de plus hauts grades.. Si? Enfin, il ne pouvait empêcher son cœur de se serrer à la vue de sa position d’inférieur, avec sa queue repliée sous son ventre, la tête basse et les oreilles rabattues sur son crâne. Il ne la connaissait pas vraiment, cette louve –au contraire-, et il était plus haut-gradé qu’elle, ce qui en temps normal n’aurait pas dû lui faire cet effet. * En fait, j’aurais probablement réagit à l’inverse * Se fit-il en songea à sa précédente rencontre avec Shadow, la guérisseuse du Sud. Disons que sa première impulsion avait été de se moquer d’elle et de sa frousse. Quoique, il fallait tout de même avouer que Perle, si elle lui ressemblait, n’était pas du tout pareil. Il y avait quelque chose de plus chez elle, de différent.

Le parfum apeuré de son corps parvint aux naseaux du sous-dominant, qui s’en imprégna pendant un moment. Son cœur battait toujours la chamade, exprimant à sa place son désire d’être à des kilomètres de là. Intimidait-il tant que ça, pour produire cet effet alors qu’il n’avait presque jamais vue cette louve au pelage immaculé? Cette pensée lui arracha une grimace intérieur. Devant d’autres, surtout ses ennemis, il s’en serait réjouit. Mais pas devant elle.. En cet instant, s’il avait pu être un loup normal, sans l’aura de dominant qu’il dégageait inconsciemment, il l’aurait été sans hésiter. Cependant, la réalité était toujours bien éloigné des rêves et des désirs, ce n’était pas le cas. Il restait bêta et elle oméga, que ça lui plaise ou non. Alors autant s’en accoutumer le plus tôt possible.. Peut-être, un jour, pourrait-il faire en sorte qu’elle monte de grade, qu’elle se découvre un don pour une vocation. Car son cœur lui murmurait depuis qu’il avait croisé furtivement le regard ambré de la louve qu’un membre comme elle apporterait beaucoup de bien fait dans une meute.. Pour peu qu’on la laisse s’épanouir, ce qui n’arriverait pas tant qu’elle garderait le rang de souffre-douleur.

« N’est-il pas un peu tard pour remonter les traces d’une égarée ? »

Presque surprit par ces paroles qui brisèrent le silence environnant, Crusade tourna un regard plus vif vers la bête argentée, qui avait encore les yeux baissés. Le ton déférent mais soutenu avec lequel elle avait prit parole contrastait avec l’odeur qui se dégageait de son corps. Ainsi, elle ne perdait pas ses moyens, même lorsqu’elle avait peur, comme dans ce cas-ci. Ça aussi, c’était un bon atout. Presque satisfait d’elle, pour une raison inconnue, Cruz’ se prit à aborder un sourire en coin sur son visage. Sourire qu’il effaça néanmoins bien rapidement, lorsque son grade de bêta lui revint en tête. Il était ici pour s’assurer que la louve aille bien et qu’elle revienne rapidement au camp, c’était tout. Cependant, il est vrai que cette nuit était magnifique, et que tout son corps lui criait de rester dehors à l’observer. La lune était presque pleine, certes, mais les nuages qui la voilaient et les longues branches de arbres qui la coupaient l’empêchait d’éclairer convenablement le boisé, mais tout cela ne pouvait enlever à la beauté des lieux. Les hauts troncs centenaires, si incongrus dans la journée, semblaient se fondre parfaitement dans l’environnement, sans paraître menaçants, pour une fois. À la vue du deuxième loup qui avait surgit, la majorité de ces corbeaux piailleurs s’étaient envolés, ramenant un silence paisible dans la forêt. Pourtant, la vie n’y était pas inexistante : un buisson remuait par-ci par-là, tandis qu’un lapereau se dépêchait de regagner le terrier, avant que les prédateurs ne se mettent en chasse. De temps en temps surgissaient le cri d’un mulot lorsqu’un oiseau de la nuit l’attrapait entre ses griffes, ou bien les roucoulements paisibles d’une famille de tourterelles à l’abri. Le vent sifflait doucement entre les arbres, faisant tourbillonner la neige autour d’eux. Puis, de léger flocons se mirent à leur tour à tomber du ciel, recouvrant tranquillement les taches sanglantes que Perle avait laissé sur le manteau blanc de la forêt. Perle. Le bêta reporta son attention vers elle, toujours debout en avant de lui, la lune se reflétant sur son pelage ivoire. Elle avait tout autant sa place ici que n’importe quoi d’autres, ou n’importe qui.

« Il n’est jamais trop tard pour le faire, je pense. Surtout pour ramener ladite égarée au campement avant qu’elle ne se blesse.. Plus sérieusement. »

Sa voix était douce, mais non dénuée d’une certaine prestance, sévérité, qui ne quittaient jamais vraiment son ton. Habitude de bêta qui avait bien peu rapport avec Perle en particulier.

* ××× Wolf ...

sentait

Tu ne connais rien de lui, alors qu’en sais-tu ? Tu te trompes.

une rose sans épines

« Ce que j’ai est superficiel et il n’y a pas à s’en faire la dessus. Je suis désolée de vous avoir obligé à vous déranger pour moi. »

« Je rentre au campement. »

fuirais-tu encore petite Perle ?

* ××× Wolf ...

Ilia’s theme.

C’est genre ma musique attitrée quand je compose ou je lis tes rep’, c’est que trop cute ]

Un instant, leur regard se croisèrent. Quatre yeux enflammés. Une harmonie. Crusade aurait pu rester une éternité immobile, à ne rien faire, sinon que de contempler les prunelles ambrées qui contrastaient si bien ave la robe laiteuse de la femelle. Les flocons tombaient maintenant en rafales autour d’eux, créant comme une barrière magique entre les deux canins et le reste du monde. Il semblait à Crusade que tout tourbillonnait autour de leur couple, tandis qu’il se noyait dans le regard emplit de bonté de l’Oméga, si douce et précieuse. Leur union n’était que complète, tout simplement. Qui sait combien de temps s’écoula? Toujours est-il qu’une phrase rompit cette connexion. Une phrase; une minuscule phrase. Prononcée par lui-même, en plus, sans qu’il n’eut le temps de réfléchir. Mais, voilà le résultat. La connexion fut coupée, leur regard se décroisèrent; son sourire se fana. Un moment de silence plana entre eux deux, comme s’ils pleuraient inconsciemment ce moment d’union perdu à jamais. Mais, le temps n’interrompant jamais sa course, il leur fallut bien vite dire quelque chose. Et ce fut Perle qui s’en chargea. Le bêta aurait préféré que non.

« Ce que j’ai est superficiel et il n’y a pas à s’en faire la dessus. Je suis désolée de vous avoir obligé à vous déranger pour moi. »

Muet de stupéfaction, Crusade ne trouva rien à ajouter. Il ne comprenait pas. Pourquoi cette réaction, après ce qu’ils venaient de vivre? Avait-elle oublier? Qu’avait-il donc fait pour mériter ces paroles? Non pas qu’elles n’étaient pas bien.. Seulement, elles avaient été prononcées sur un ton si respectueux, si détaché, si fade! Ce qui le touchait le plus, c’était l’utilisation du « vous »; la démarcation claire qu’elle mettait entre eux deux. Elle lui rappelait bien durement leur rôle respectif.. Mais, aussi, ce qui frappait, c’était le refus de son aide. Elle ne l’avait pas dit clairement, mais disons que cela était sous-entendu. Ou, du moins, Crusade le comprenait-il ainsi. Elle rejetait son aide. Elle le rejetait. Et, ça, sur le moment, le mâle ne put le comprendre. Alors y répondre? C’était au-dessus de ses forces. Constatant son absence de réaction, Perle recula de quelques pas. Elle fuyait. Cela ramena un peu de conscience au mâle.

Merde, merde! Il la sentait qui lui filait entre les doigts, insaisissables. Comme le sable du temps, il pouvait la toucher, la sentir, mais pas la retenir. Une trop grande pression, et voilà que cette poussière se dispersait, s’éparpillait, comme les nuées de libellules au bord d’un étang. S’en saisir était un rêve. Un rêve fou. Mais un désir profond. Si seulement elle lui laissait une chance de s’expliquer.. D’expliquer quoi? Il n’en savait rien. Mais il avait le pressentiment que, à quelque part, il avait gaffé. Comment? Était-ce sa faute? Crusade l’ignorait. En fait, tout pouvait simplement venir de la louve à la robe si claire, si pure.. Toujours est-il qu’il serait près à faire n’importe quoi pour croiser son regard encore, même brièvement. N’importe quoi pour avoir une seconde chance. Cependant, plus le temps s’écoulait, plus il n’ajoutait rien à sa réponse, plus il la sentait s’éloigner de lui. La rupture se fit totalement lorsqu’elle prononça le « Je rentre au campement. » à mi-voix, ramenant ainsi le bêta à la réalité, détruisant en partie ses rêves. Impuissant, il l’avait regardé s’éloigné mentalement de lui; à présent, c’était physiquement. Et il n’était pas en mesure de dire que qui faisait le plus mal.

« Perle, attends! »

Mais trop tard; elle était déjà partie. La louve avait probablement entendu son cri, mais avait décidé de l’ignorer. Oh, ciel, mais pourquoi? Qu’avait-il donc fait pour mériter pareil sort? Il l’ignorait, et c’est ce qu’il détestait le plus. L’avait-il blessé? Aller savoir. Toujours est-il qu’elle l’avait fui, faisant fit de son appel, le laissant seul dans les bois. Seul avec sa culpabilité.

« S’il te plais.. » Murmura-t-il tristement à la forêt, la seule à encore l’écouter.

Il fut tenter de rester là, toute la nuit, immobile, là où elle l’avait planté. Mais quelque chose en lui résista. Il avait encore une chance; il pouvait la ravoir. Suffisait d’insister. Et de la rattraper. Sitôt cela décidé, une nouvelle détermination grandit dans ses yeux, au fur et à mesure qu’il allongeait sa foulée, pour retrouver la belle en fuite. Elle avait de l’avance sur lui, mais pas tant que ça; ses coussinets étaient encore blessés; sa carrure était moins endurante que celle du bêta. Il avait toutes les chances de son côté pour la rattraper, surtout qu’elle suivait la trace qu’il avait laissé, de laquelle il se souvenait. Il rattrapa donc Perle juste avant qu’elle ne parvienne à sortir du Bois Bannis. Accélérant, il réussit à se placer devant elle, de façon à la faire s’arrêter, lui couper sa retraite, mais pas trop brusquement non plus; il ne voulait pas l’effrayer. Et il ne voulait pas non plus la retenir contre son gré; si, après ce qu’il avait à dire, elle décidait encore de partir, il la laisserait passer; il n’aurait plus le courage de la retenir. Cependant, elle devait l’écouter, au moins.

« Je.. Tu.. Longue respiration de sa part, pour se démêler un peu les idées. Tu sais, tu n’es pas obligée de partir si vite; le camp ne se sauvera pas.. »

Merde. Taggle, tu vas tout faire foirer. T’AS tout fait foirer. Allez, reprends-toi, elle est encore là! Et pas de conneries, cette fois, imbécile.

« Ce que je voulais dire, c’est.. Nouveau soupir. Crusade ferma les yeux, puis les leva vers le ciel voilé. Il reprit d’une voix basse, maîtrisée, douce : La nuit est magnifique, ce soir. Pourquoi ne pas en profiter à deux sur le chemin du retour? »

* ××× Wolf ...

son regard

car ce serait les trahir en oubliant ta culpabilité

Tes yeux sont aveugles et ton cœur bien stupide

* ××× Wolf ...

Elle avait courut. Comme une furie; elle avait courut. Son poils était encore tout ébouriffé, sa respiration saccadée, alors qu’il la contemplait de haut. Une simple retraite au campement n’aurait dû lui causer si grand affolement; elle avait probablement fuit quelque chose. Mais quoi? À la seul pensée que peut-être, ce fut lui, le responsable de cette fuite, Crusade sentit un étau lui serrer le cœur. L’idée en soi le rendait malade; pour n’importe qui d’autre, cette fuite aurait pu être drôle; il s’en serait moqué. Mais l’oméga n’était pas n’importe qui d’autre; elle était celle dont le sourire, lorsqu’il apparaissait, faisait ternir les étoiles d’envie. Un simple regard, et c’était son âme au complet qui prenait feu; un contact, et c’était son corps. La voir aussi.. bouleversée.. le choquait. Il n’arrivait pas à le figurer, à le croire. Ou plutôt, si; il le concevait parfaitement, puisqu’elle était là, ainsi, devant ses yeux. Mais la raison à tout ceci.. Cela lui échappait. Et, en ce moment, Crusade aurait été prêt à donner n’importe quoi, même sa vie, pour savoir ce qui clochait. Pour croiser à nouveau ses yeux si expressifs, magnifiques, qui arrivaient à le faire fondre, à le rendre aussi démuni qu’un enfant. Mais non; son regard était rivé sur le sol. Elle l’évitait. Pire encore, elle le craignait; sa posture basse et sa queue repliée le démontrait clairement. D’abattement, Cruz’ plaqua ses oreilles sur son crâne; quel monstre était-il donc pour terroriser la demoiselle? Jamais il n’avait autant regretté d’être bêta, d’avoir endossé ce rôle. Jamais. Et jamais il n’eut cru avoir à le faire. Pourtant, le fait était là; il aurait donné sa place à n’importe qui, avec n’importe quoi, pour avoir la seule chance de partir plus loin cette nuit-là, avec la femelle blanche. Oublier les responsabilités qui lui étaient attribuées. Juste partir, courir, voler en sa compagnie. Vivre dans le moment présent. Mais cela lui était refusé, il le savait bien. Peut-être aurait-il la chance d’accompagner la louve au campement; peut-être pas. Il attendait toujours la réponse, les yeux rivés vers la toile sombre, en haut.

Les cieux étaient par endroit dégagés, laissant apercevoir l’éclat vif de la Lune, qui faisait miroiter la neige. Des tourbillons de flocons venaient valser autour du couple, entraîné par quelques courants d’air. Décidément, c’était une nuit magnifique. Et il aurait aimé la partagé avec Perle.. Si seulement celle-ci daignait de lui répondre. Abaissant son regard, Crusade fixa la demoiselle, qui esquivait encore son regard. Néanmoins, elle n’aurait pu lui cacher l’éclat qui traversa sa physionomie. Un instant, il contempla le ravissement sur son visage d’ange. Mais cet instant fut si infime, futile, que le bêta cru l’avoir imaginé. Car le moment suivant, seul un abattement figurait sur ses traits. Pourquoi? Incompréhension. N’avait-elle pas, quelques secondes plus tôt, semblée.. Heureuse? Si, il ne pouvait en douter; le mâle avait bien fut l’éclair fugace de sa joie. Pourtant, Perle le regardait maintenant comme un condamner devant son bourreau, hochant de la tête, accablée. Elle fuyait à nouveau son regard. Et, silencieuse, elle se mit en marche, le contournant, pour se diriger vers le campement. Immobile, pour une nouvelle fois de la soirée, il la regarda s’éloigner. Peut-être cette fois l’attendrait-elle; mais le cœur n’y serait pas. Il aurait tant voulu qu’elle dise quelque chose, au moins! Qu’elle ne le laisse pas ainsi, sur le cul, inconscient de la faute qu’il avait commise, mais certain qu’il y en avait eu une.

« Perle! »

U

n cri du cœur. Mais qui l’entendrait? Elle l’avait déjà fuit, par le passé. Cette fois, elle n’aurait probablement l’indélicatesse de fuir son bêta lorsque celui-ci lui avait demandé la permission de l’escorter. Mais, qu’elle soit proche de lui ne changeait rien, au final, si ce n’était que physiquement. Si son esprit volage s’échappait, à nouveau, il ne savait pas ce qu’il ferait. Il ne pouvait le retenir; et, quand bien même que cela fut possible, il ne le pouvait, tout simplement. Elle était bien trop pure pour qu’il la souille en tentant de la contraindre. Alors il resta là, immobile, frissonnant dans la nuit d’un froid qui n’était pas causé que par la neige. Plus les pas s’éloignaient, plus il sentait la vie le quitter, à l’exemple de son âme. Pourtant, il savait que Perle ne partirait pas à courir, pas plus qu’elle ne passerait son chemin, sans le voir. Elle ne le

tout simplement pas. Néanmoins, Crusade ne ferait pas l’imbécile deux fois de suite; il ne resterait pas là, assis, alors qu’elle partait, même s’il était persuadé qu’elle n’irait pas bien loin. C’est pourquoi il se leva d’un bond agile, puis se dirigea lentement vers la louve effarouchée. Ou plutôt, il avait envie de la rejoindre en courant, à fond le train, mais sa tête lui recommandait plus de prudence, de tenue. Il se sentait comme un gamin à qui on donnait l’autorisation de courtiser une demoiselle. La joie en moins, seule restant une incertitude doublée d’une impatience étourdie. Cependant, en tant que mâle adulte, il ne pouvait plus agir comme un gosse, dans l’espoir de lui racheter son cœur; ces temps-là étaient oubliés depuis longtemps. Mais il ne pouvait pas non plus demeurer de glace alors qu’elle partait. Lorsqu’il arriva à sa hauteur, il avait les deux oreilles plaquées sur le crâne et un air penaud collé sur le visage. Sa voix tremblait presque – merci à sa maîtrise de lui-même - lorsqu’il prit la parole :

« Qu’ai-je donc dis? Qu’ai-je donc fais? »

E

t voilà; pour la première fois de sa vie, il abandonnait ses défenses, laissait tomber ses murailles. Plus démuni que jamais, il se tenait devant cette femelle, l’âme à nu, comme un enfant impuissant. En ce moment, si elle avait été du genre joueuse, garce, elle aurait pu lui porter le coup fatal. Son cœur ne s’en serait pas remis. Pourtant, il n’avait aucune crainte à cet égard; il n’avait pas hésité un seul instant face au choix de se désarmer ou non. La peur de la perdre avait motivé toutes ses actions, justifié sa décision. Peut-être perdrait-il à jamais la considération de la louve et de son clan, après s’être montré aussi faible. Mais il préférait endurer tous les supplices du monde plutôt que de voir Perle partir le cœur aussi gros, d’une raison inconnue.